Anesthésie générale
Je tourne en rond depuis plus de deux semaines, comme le faisait Donald – mon poisson rouge défunt. Paraît que Donald avait environ de 3 secondes de mémoire, comme tous les gars de son espèce. Un, deux, trois, et hop tout recommence. Table rase. Et à la réflexion, c’est vrai qu’il avait toujours l’air de tomber des nues ce con de poisson. Il en restait même bouche bée.
Mais moi, j'en ai beaucoup plus de la mémoire. Beaucoup trop même. Mon bocal me semble minuscule, maintes fois visité, archi connu... Une impression de déjà vu persistante et lancinante. Je suis Bill Murray dans un jour sans fin, condamné à revivre indéfiniment la même journée. Encore et encore.
En ce moment, où que j'aille, je marche dans mon propre passé.
La nuit dernière je me suis réveillé le bras droit paralysé. Je l’avais coincé durant mon sommeil, avais empêché le sang d’y circuler. Il avait disparu, je ne le sentais plus. Il était endormi. Je le pinçais mais ressentais que dalle. Il n’était qu’un poids supplémentaire. Quelques minutes de massage intensif ont été nécessaires pour le réanimer, pour qu’il ré-intègre mon moi… La vie l’avait momentanément quitté.
J’ai l’impression d’être comme mon bras la nuit dernière, sauf que je n’ai pas encore été réanimé. Je ne ressens rien ou pas grand chose. Mes émotions ne suivent plus. Cette semaine, j'ai dû arrêter la lecture d'un recueil de nouvelles de Raymond Carver. Je passais complètement à côté, incapable de me laisser transpercer. Les mots glissaient. J’aurais pu lire l’annuaire, c’eût été pareil. Même mater les petits culs de l’été, en terrasse avec mon pote Bastien, ne me distrait plus. Je les regarde passer comme un espoir déçu, avec l’envie de la tristesse.
Crise d'idéalisme. Je ne crois plus...
La réalité me plaque au sol, le souffle court, le nez dans la merde. J’ai besoin d’air.
J’ai toujours espéré que l’on me tende une main fraternelle. J’attends, la main ouverte... Qu’est-il advenue de l’amitié ? Existe-t-elle ailleurs que dans les cours de récréation, quand il suffisait de partager le même bac à sable pour se faire instantanément et tout naturellement un ami pour la vie ? En grandissant, tout se complique. La notion d’amitié perd de sa substance première et radicale. Il n’en reste qu’une coquille vide et un mot au sens galvaudé. En grandissant, l’homme devient manchot. L’Homme, le vrai, celui avec deux mains tendues, est aussi rare qu’un mouton à cinq pattes... Une véritable erreur de la nature.
J’aimerai avoir un ou une meilleure amie comme quand j’avais 8 ans. De cette amitié sans concession, sans effort ou faux-semblants. En ce moment, je n’y crois plus…
Trois secondes de mémoire à suffit à Donald pour avoir envie d’aller voir ailleurs. En rentrant de l’école, j’ai trouvé Donald immobile sur le plancher. L'instinct de survie. J’avais sept ans, j’ai pleuré. Il n’avait pas l’air surpris.