Rencontre ratée

Elle est sorti du taxi sans même me faire la bise. La portière s'est ouverte, elle s'est désincarcéré de la mercedes, puis s'est retourné pour me lâcher un "au revoir" agrémenté d'un faible sourire que je n'ai su déchiffrer. Quelques minutes auparavant, déjouant toutes mes prédictions -- j'avais senti une douce complicité s'installer au cours de la soirée: nos regards se cherchaient, nos mains se frôlaient, nos coeurs faisaient connaissance -- , elle refusa de me donner don numéro de téléphone.  J'aurais pu réagir, la rattraper, l'enlacer d'un bras, et goûter ses lèvres qui m'ont obnubilé toute la soirée. J'aurais dû agir, mais je me suis juste enfoncé un peu plus dans mon siège sous le poids de la déception.

Interdit, plusieurs pâtés de maisons avaient défilé sous mes yeux absents avant que j'explique au chauffeur quel itinéraire prendre pour rentrer au plus vite chez moi. J'allumai une cigarette mais le chauffeur m'indiqua la pancarte non fumeur de son doigt. Je lui souris, reconnaissant de respecter le silence, écrin de mes émotions. Je m'emballe vite, c'est mon problème. Elle aura eu peur, et c'est normal. Elle aura senti que je suis un croyant, et que ma religion s'appelle Féminité. D'abord confus, cruels, mes sentiments se sont cristallisés dans la résignation. Dans sa grande mansuétude, la vie s'arrangeait toujours pour tuer dans l'oeuf toutes mes tentatives d'approches du bonheur. Elle ne me pardonne pas d'aller dans une autre église que la sienne. Le chauffeur me regardait régulièrement grâce à son son rétroviseur géant. Peut-être voulait il me donner son numéro de téléphone, pour que je ne reparte pas sans rien. A la vue de la grimace qui me déformait le visage il me sourit. Un sourire chaud, presque fraternel. Un sourire qui voulait dire "tiens bon". C'était toujours ça de pris quand on crève de froid. Avant de glisser à mon tour hors du taxi, le chauffeur m'interpella et me dit, comme pour me rassurer:
- je voulais vous dire, m'sieur... Vous savez, elle a pas été gentille avec vous la d'moiselle.
Je devais vraiment avoir l'air d'un mendiant ce soir pour que cet homme se mette à faire de la charité
- Mmmmm, oui, oui... Je ne peux pas lui en vouloir. Moi je fais le pitre, mais d'autres mordent... Dans la vie, chacun se défend comme il peut...